OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Chronique d’un leak annoncé http://owni.fr/2012/09/25/facebook-bug-leak-annonce/ http://owni.fr/2012/09/25/facebook-bug-leak-annonce/#comments Tue, 25 Sep 2012 16:09:59 +0000 Nicolas Patte http://owni.fr/?p=120908

The Labyrinth of memory - photo by-nc Mister Kha

“FacebookLeak”, “bug Facebook”, peu importe son nom. La frise chronologique est bouleversée. Facebook n’a jamais eu — semble-t-il — que des détracteurs, mais Facebook a quasiment autant — voire bien davantage — d’utilisateurs. Le caractère intrinsèque de la folie suscitée hier par une information non vérifiée et profondément préemptée est fondamentalement lié à l’anticipation de l’événément par l’imaginaire collectif.

Dans une des plus brillantes pièces du théâtre anglais contemporain, Betrayal, Harold Pinter décrit la relation psychologique entre trois personnages classiques : le mari, la femme, l’amant. Le chef d’oeuvre commence par la fin de l’histoire — elle lui avoue que son époux est au courant de leur relation depuis deux ans — et termine par son origine : l’immoral et répréhensible baiser. Le génie de Pinter est de susciter la tension créée par cette trahison à rebours qui met l’amant dans la situation désepérée du mari en provoquant son hystérie sourde — et un sentiment particulièrement équivoque de bien-être chez le lecteur.

Poke

Ce qui vient de se passer avec la tragédie drôlatique du vrai-faux dysfonctionnement non avéré de Facebook n’est pas une histoire comme les autres. Le processus narratif n’est pas linéaire comme l’appréhension publique et populaire d’un accident industriel ou d’une catastrophe naturelle. Les événements semblent pourtant s’enchaîner dans le même tempo : il se passe quelque chose, la foule s’en empare, l’hystérie prend le dessus, la raison intervient, le questionnement surgit ; il s’est passé quelque chose.

Sauf que la manière dont l’information a rebondi hier ne ressemble en rien à cette manière dosée de furie et de consternation qui jalonne les accidents industriels et les catastrophes naturelles. La palette des sentiments de cette soudaine synesthésie facebookienne a débordé ad absurdum jusqu’au perron des ministères, dont on imagine les plus jeunes membres, le doigt moite, vérifier leur propre timeline tandis qu’ils méditaient sur le genre de communiqué qu’ils pourraient fournir (jusqu’au bout de la nuit) à une presse déjà ras-la-gueule et suffisament étourdie sur le sujet.

Dans un entretien avec Bernard Pivot en 1976, l’ancien publicitaire et romancier René-Victor Pilhes prévoyait :

Le retour à la bestialité est possible dans une société comme la nôtre. En raison de la désorganisation des mentalités, des crises d’hystéries généralisées, tout cela aggravé par les crises économiques.

Parmi les plus vitupérants, les plus exaltés des journalistes sur ce sujet (devenu) excessivement mainstream, d’aucuns ont claqué la langue avec la délectation de ceux qui pourchassent sans répit les conspirationnistes du 11-septembre. Si la comparaison peut paraître excessive, elle ne l’est pas : lorsque Facebook a balancé son laïus illico — repris la bouche en coeur par les purs players de la Vallée — démentant le moindre problème sur Ses éminents serveurs, la corporation s’est scindée au même pas. La famille des “mouais j’ai pourtant moi-même constaté le problème” et celle des “ah on vous l’avait bien dit et d’ailleurs avez-vous des preuves de ce que vous avancez” ont planté le campement. Et s’observent en chiens de faïence depuis.

Hate

Cette exacerbation minitieuse des petites rancoeurs connectées ressemble à s’y méprendre à la continuation d’un vieux flaming démarré la veille sur un mur Facebook. Ou une conversation privée. Bref, on se sait plus. Mais c’est public, et c’est en famille.

Tout le monde sait que Facebook est une passoire en nacre, un anus chaste ouvert sur le monde. Que ses paramètres de confidentialité comportent 1 000 mots de plus que la Constitution française. Que des arnaques pour des iPhone 5 à 69 euros y pullulent. Que les données personnelles qu’on y “efface” restent stockées au fond du Nouveau-Mexique ou ailleurs.

Que toutes les filles ne comprennent pas le truc pour mettre les photos en maillot de bain accessibles uniquement aux très bons amis. On sait que ça va exploser et qu’on va tous le quitter un jour. Que l’histoire va s’arrêter. Que le grand secret de la réussite d’un post-ado génial un peu connard devenu milliardaire sera forcément dévoilé aux yeux rouverts de l’humanité tétanisée par son affection pour une plate-forme qui lui permet d’avoir une vie sociale avec des gens qui n’existent plus vraiment.

Hier la boîte de Pandore a failli s’ouvrir sur une histoire qu’on connaît déjà tous. Nous avons failli être cet amant qui apprend par sa maîtresse que son mari est au courant depuis bien longtemps. Nous avons flirté avec l’hystérie, et avec un infini bien-être. Même joueur, rejoue encore.


Photo CC The Labyrinth of memory [by-nc] Mister Kha

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Le jour où Facebook m’a rendue zinzin http://owni.fr/2012/09/25/le-jour-ou-facebook-ma-rendue-zinzin/ http://owni.fr/2012/09/25/le-jour-ou-facebook-ma-rendue-zinzin/#comments Tue, 25 Sep 2012 15:21:23 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=120871

Mini-pizzas, vin rouge et Fifa (un beau Chelsea-Bayern de Munich). On était tranquilles quand tout s’est emballé. Le bug Facebook a pris le contrôle de nos esprits. Et accessoirement, m’a fait perdre la partie.

Pourtant, c’est pas comme si on était pas au courant. Plus tôt dans la journée, tout l’Internet français avait été alerté. Pour ma part, c’est vers 16 heures que j’apprends que Facebook aurait rendu publics par erreur des messages privés envoyés aux alentours de 2009. Affiché des conversations sur la timeline qui nous sert depuis fin 2011 de profil.

Immédiatement, je me rue sur le mien afin de vérifier la fameuse “rumeur” (à prononcer l’air grave avec un tremblement dans la voix). Là, je tombe sur une boîte louche, au début des contenus publiés chaque année depuis mon inscription sur le réseau social. Intitulée, par exemple “Friends 2009″ :

x friends posted on Andrea’s timeline.
[NDLR : oui, je ne sais pour quelle raison, mon profil est toujours en anglais. Ce qui donne en bon français : "x amis ont posté sur le journal d'Andréa"]

Et qui figure juste à côté d’une boîte similaire, consacrée aux messages d’anniversaire de la même année.

Dans cette boîte, j’aperçois des messages de ma sœur, de mon père (“j’ai envoyé un mail, tu l’as vu?!”), d’amis qui me demandent les plans pour le Nouvel an, de commentaires du petit ami de l’époque. Mais rien de croustillant. Enfin, de ce que j’ai pu apercevoir. Paniquée à l’idée que quoi que ce soit d’intime puisse tomber entre les mains d’amis stalkers, je décide de tout cacher (“Hide”) et de vite aller lorgner sur les comptes des copains. Sans prendre de captures d’écran du mien. Erreur fatale.

Capture or it didn’t happen

Pourtant j’ai hésité. Sur Internet, tout le monde le sait : la capture d’écran est reine. Parce que si le fail (de la faute d’orthographe à l’insulte regrettable, en passant par le DM rendu public) peut vite être publié, sa disparition est tout aussi rapide. Dans ces cas là, seule la capture fait foi. Et on ne s’est pas privé de me le rappeler. Faisant basculer ma soirée dans un véritable cauchemar.

Car ce qui était une bonne occasion de rire et, avouons-le, d’aller fureter dans les comptes des uns et des autres, a tourné à l’affaire d’État. Vers 20 heures, Facebook déclare :

Nos ingénieurs ont étudié ces cas et constaté que ces messages étaient en réalité d’anciens messages postés sur les murs qui ont toujours été visibles sur les profils des utilisateurs. Facebook affirme qu’il n’y a aucune atteinte à la vie privée des utilisateurs.

Deux camps se sont alors faits face. La team #bug, persuadée d’avoir vu des messages trop prosaïques, trop évocateurs ou trop répréhensibles pour avoir été volontairement ouverts au grand public ; et la team #hallu, voyant dans cette agitation la manifestation d’une hallucination collective.

Là, les messages pleuvent. Facebook, évidemment : captures, commentaires. “Si ça n’est pas un bug, alors j’étais vraiment très con de publier ce genre de choses sur le wall”. Twitter aussi. Le doute s’installe. ”C’est pas possible de pouvoir penser ça !” On s’écharpe, on essaie de prouver que ce qu’on a vu, ou non, est la preuve d’une ou l’autre théorie.

Équivalent Petit-gris du point Godwin, la théorie du complot rapplique vite. Jusqu’à en venir aux SMS :

Prouve moi que le 11 septembre n’est pas arrivé !

Pour se chambrer d’abord, plus sérieusement ensuite. Dans mon coin, je tape des pieds : je tiens à prouver ce qui me semble être vrai. Avec la même obsession que le camp d’en face.

Je consulte l’”activity log” de mon compte (sur votre profil, en haut à droite), supposée archiver tous mes faits et gestes depuis mon inscription. Je télécharge, grande première, l’intégralité de mon profil en .zip. Et me retrouve très vite dans l’impasse : la seule façon de prouver avec certitude que des messages privés se sont retrouvés à l’air libre, sur mon profil, est d’en retrouver la trace dans une autre boîte aux lettres que celle proposée par Facebook. Il est en effet possible de recevoir une notification à chaque nouvel envoi de message privé… Encore faut-il retrouver celles qui datent de 2009. Et à cette date, mon adresse actuelle n’existait pas. Il faut s’en retourner vers les limbes. Hotmail. Pire : wanadoo.

Et surtout, retrouver les mots de passe qui pourraient à eux seuls tout résoudre. Deux, trois, quatre tentatives : sans succès. Il est minuit, je n’en peux plus : il est temps de cliquer sur le fameux ”j’ai oublié mon mot de passe”. ”Quel est le nom de mon premier animal de compagnie ?” Fuck. Je les ai pourtant tous aimés, impossible de s’en souvenir avec certitude. Finalement, “Melchior” l’emporte (oui, Melchior). Enfin, je vais savoir si oui ou non Facebook déploie une communication éhontée dans toute cette histoire. Ou pas. Après toutes ces épreuves, je découvre que MSN a supprimé tous mes mails. Sans préavis. Rien, nada, dans cette boîte souffle un vent glacial. Et ce n’est pas mieux sur wanadoo, qui demande que l’utilisateur principal de la ligne change lui même mon mot de passe d’utilisateur secondaire. A l’époque, mon père certainement. Qui depuis longtemps a fermé son abonnement. Désespoir.

Moi, cette nuit, vers 1h30 du matin

Je vois des messages qui sont morts

Oui, Facebook m’a rendue zinzin. Jusqu’à venir me hanter la nuit et à en faire des cauchemars :

Toi aussi tu vois les messages qui viennent de la porte ?

L’intérêt de cette histoire réside précisément dans ce drôle d’intérêt qu’elle a su susciter.

Partout, l’affaire du bug a provoqué une déferlante de réactions et d’interrogations, médiatiques ou non, sur son éventuelle véracité et les preuves qui seraient susceptibles de l’appuyer. Jusqu’au coeur du gouvernement, en poussant les services presse d’Arnaud Montebourg (ministre du redressement productif) et Fleur Pellerin (économie numérique) à envoyer un communiqué à 2 heures du matin ! Les deux ministres exigeant ”des explications claires et transparentes” du site américain, convoqué illico devant la Cnil.

Du côté de chez Owni, notre Jean-Marc Manach national est harcelé de questions de confrères et les articles que nous avons déjà publiés sur Facebook sont pris d’assaut, faisant exploser notre courbe d’audience.

L’affaire du bug Facebook a généré une attente indéniable. Un suspense, dont l’intimité serait l’actrice principale.

Il faut dire que le site croise nos moments de vie brandis et ceux qu’il vaut mieux taire. Quelque part entre l’interaction publique et l’illusion du privé : car quoiqu’il arrive, ces données que l’on souhaite secrètes, ne le restent qu’à condition du bon vouloir du site. Réalité à laquelle les plus de 900 millions d’utilisateurs se sont déjà confrontés : Facebook est réputé pour avoir trop souvent fait joujou avec la confidentialité des profils. Le voilà à tout jamais frappé du sceau de la culpabilité.

Les utilisateurs font donc de fait confiance au géant américain tout en se sachant vulnérables. Sur la brèche, à deux doigts de basculer à poil sur Internet. C’est peut-être pour cette raison que les utilisateurs sont si prompts à vouloir voir dans ce remue-ménage une erreur manifeste de la part du géant américain. Ou peut-être aussi par amour des reptiliens, illuminati, petits-gris et autres contes complotistes…


Illustration © Bojan Kontrec (Istock)

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