OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Revoilà le cyberterrorisme http://owni.fr/2012/11/14/cyberterrorisme-le-retour/ http://owni.fr/2012/11/14/cyberterrorisme-le-retour/#comments Wed, 14 Nov 2012 17:06:16 +0000 Pierre Alonso et Andréa Fradin http://owni.fr/?p=125975

Nathalie Kosciusko-Morizet en 2010 à Vilnius pour l'Internet Governance Forum (cc) V.Markovski

La loi contre la consultation des sites terroristes revient par la petite porte. Nathalie Kosciusko-Morizet (UMP) l’avait annoncé dans une tribune parue la semaine dernière dans Le Monde : elle propose de réintroduire ce délit par amendement.

En reprenant les dispositions suggérées par le précédent gouvernement : 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende en cas de consultation habituelle de sites terroristes, sans motif légitime (journalisme, recherche universitaire, travaux de police).

Flashback

Petit retour en arrière. L’assaut contre Mohamed Merah à peine terminé, Nicolas Sarkozy annonce depuis l’Elysée sa volonté de lutter contre “les sites Internet qui font l’apologie du terrorisme”. A deux mois de l’élection présidentielle, un projet de loi [PDF] est déposé au Sénat par le Garde des Sceaux d’alors, Michel Mercier.

La loi contre les web terroristes

La loi contre les web terroristes

Le projet de loi sanctionnant la simple lecture de sites Internet appelant au terrorisme devrait être présenté demain en ...

L’article 2 punit alors “de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende le fait de consulter de façon habituelle [un site internet] soit provoquant directement à des actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes”. La sanction ne s’applique pas “lorsque la consultation résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice.”

Avec le changement de gouvernement et de majorité, le projet de loi prend la poussière au Sénat. Jusqu’en septembre, lorsque Manuel Valls, ministre de l’Intérieur frais émoulu, annonce une nouvelle batterie de mesures. Le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme est déposé au Sénat. Mais sans le délit de consultation.

Lors de son examen, le sénateur Hyest (UMP) propose de le réintroduire par amendement. Il reprend mot pour mot l’article rédigé quelques mois plus tôt par la majorité précédente. Contacté par Owni, il le justifie par l’existence de mesures équivalentes pour lutter contre les sites pédophiles.

Le cyberterrorisme par la petite porte au Sénat

Le cyberterrorisme par la petite porte au Sénat

Nicolas Sarkozy rêvait d'une loi sanctionnant la consultation de sites terroristes. L'actuel gouvernement n'a pas suivi. ...

L’amendement est rejeté, même si les sénateurs s’accordent sur l’importance de lutter contre le cyberterrorisme. Lors des débats, Michel Mercier le regrette, mais reconnait “que la réflexion n’était pas mûre.”

Antiterrorisme sur Internet

Nathalie Kosciusko-Morizet ne l’entend pas ainsi et le fait savoir : “le terrorisme doit être aussi pourchassé sur Internet” tonne-t-elle dans sa tribune. Dont acte. Deux amendements ont été déposés [PDF].

Outre les sanctions (deux ans de prison et 30 000 euros d’amendement), le texte proposé par l’ancienne secrétaire d’État à l’économie numérique “[permettra] la cyber-infiltration dans les enquêtes relatives à ce nouveau délit.” Depuis l’adoption de la loi dite LOPPSI en 2011, les autorités ont déjà la possibilité de participer “sous un pseudonyme” aux échanges sur des sites soupçonnés de provoquer des actes terrorisme ou d’en faire l’apologie.

Nathalie Kosciusko-Morizet semble donc décidée à entretenir sa flamme numérique. Chargée du dossier de 2009 à 2010, l’ancienne ministre entend réaffirmer et imposer son expertise sur le sujet. Dans la continuité des positions de Nicolas Sarkozy.

Interrogé par Owni, son entourage précise que l’amendement est de son fait, et non du groupe UMP. Elle fait d’ailleurs cavalier seul aux côtés d’autres députés de la même famille politique, dont Éric Ciotti, qui ont déposé un amendement similaire. Pas suffisamment encadré selon Nathalie Kosciusko-Morizet. Pour éviter une “censure” du Conseil Constitutionnel, elle préconise le “principe de proportionnalité”. L’exclusion de certaines profession et des mesures les plus liberticides de l’antiterrorisme, comme elle l’a détaillé cet après-midi en ces termes devant la commission des lois de l’Assemblée nationale :

organiser des dérogations pour les professions qui ont besoin d’aller sur ces sites (journalistes, chercheurs, services de police) ; écarter de la consultation l’application de certaines mesures pour les faits relevant du terrorisme (garde à vue supérieure à 48h, prescription de 20 ans, perquisition de nuit).

Interrogé sur les motivations de Nathalie Kosciusko-Morizet, son entourage indique encore qu’elle détaillera “sa philosophie sur le sujet” après la présentation des amendements à Manuel Valls, toujours en cours à l’Assemblée Nationale.


Photo de Nathalie Kosciusko-Morizet par Veni Markovski [CC-by] éditée par Owni

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Le cyberterrorisme par la petite porte au Sénat http://owni.fr/2012/10/17/le-cyberterrorisme-par-la-petite-porte-au-senat/ http://owni.fr/2012/10/17/le-cyberterrorisme-par-la-petite-porte-au-senat/#comments Wed, 17 Oct 2012 17:50:13 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=122893 "La réflexion n'était pas mûre" admet l'ancien garde des Sceaux. D'autant que le cyberterrorisme est au cœur de plusieurs dispositions du projet de loi adopté hier par le Sénat.]]>

L’entente cordiale des grands jours flottait hier au Sénat pour l’examen du projet de loi antiterroriste. Dans la nuit, les sénateurs ont voté pour ce texte, dont une première version avait été présentée par le précédent gouvernement, entre l’affaire Merah et l’élection présidentielle.

La loi contre les web terroristes

La loi contre les web terroristes

Le projet de loi sanctionnant la simple lecture de sites Internet appelant au terrorisme devrait être présenté demain en ...

Manuel Valls, rejoint dans l’hémicycle par la garde des Sceaux Christiane Taubira, a insisté sur le consensus républicain nécessaire afin de lutter contre le terrorisme, “l’ennemi intérieur”. Différence majeure avec le texte présenté par le précédent ministre de la Justice, Michel Mercier : le délit de consultation habituelle des sites terroristes sans motif légitime a disparu. Du moins jusqu’à l’examen en commission des lois.

Délit de consultation

Le sénateur UMP Jean-Jacques Hyest a proposé des amendements qui réintroduisaient intégralement le délit de cyberterrorisme. Il expliquait jeudi à Owni que cette disposition existait déjà pour les pédophiles et pourrait donc être reprise pour les sites terroristes. En séance, Jean-Jacques Hyest a invoqué l’expertise de François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique interrogé par la commission des lois au printemps dernier.

Le son de cloche diffère légèrement chez Michel Mercier, l’ancien garde des Sceaux. En commission, il a émis des doutes quant à la pertinence de cette disposition :

Peut-être faudra-t-il revenir à la création d’un délit de consultation de certains sites sur internet ; je reconnais toutefois que la réflexion n’était pas mûre.

Ces amendements n’ont pas été retenus hier, mais le spectre du cyberterrorisme était bien présent. A la tribune, Manuel Valls a évoqué à plusieurs reprises la menace qu’Internet représente entre les mains des jihadistes. Le ministre de l’Intérieur a notamment cité l’exemple de Mohammed Merah dont “les méthodes d’action sont le résultat d’une préparation minutieuse, faite de contacts nombreux, de la fréquentation de sites internet djihadistes, d’un embrigadement et d’un passage, sans doute rapide, par les camps d’entraînement situés dans les zones tribales pakistanaises et afghanes.”

Arrestation

Pour étayer ses propos, Manuel Valls s’est félicité d’une opération récente :

L’analyse des données de connexion a ainsi permis, au cours des derniers mois, d’identifier les administrateurs d’un site islamiste dont l’objectif était notamment le recrutement de candidats au djihad. Sur la base des informations recueillies, une procédure judiciaire a pu être ouverte, et le principal administrateur du site a été arrêté et écroué.

26 ans de lois antiterroristes

26 ans de lois antiterroristes

Description en une infographie interactive de la mécanique antiterroriste française, mise en place en 1986 au lendemain ...

Une façon de justifier la pertinence de la législation actuelle et, en creux, l’abandon du délit de consultation des sites terroristes. Pour l’heure, l’utilisation d’Internet à des fins terroristes tombait sous le coup de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, ou de l’apologie du terrorisme, un délit encadré par le droit de la presse.

Le projet loi tel qu’il a été voté par le Sénat et sera présenté à l’Assemblée, propose de faciliter les inculpations pour apologie du terrorisme. Le délai de prescription, de trois mois aujourd’hui, serait porté à un an. Une mesure directement destinée aux enquêteurs qui se confrontaient régulièrement à la courte durée.

Mais pour “lutter contre le cyberterrorisme”, il faut “identifier les personnes en parvenant à les géolocaliser”, a expliqué le sénateur PS Alain Anziani :

Nous savons que le cyberterrorisme est la forme moderne du terrorisme.

Le projet de loi étend justement les dispositifs de 2006 sur la conservation des données de connexion.


Photo par Richard Ying (CC-byncsa)

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La France débranche le cyberjihad http://owni.fr/2012/10/16/la-france-debranche-le-cyberjihad/ http://owni.fr/2012/10/16/la-france-debranche-le-cyberjihad/#comments Tue, 16 Oct 2012 13:07:08 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=122786 Owni, ces derniers jours l'administration française a pris des mesures contre le forum d'Ansar al Haqq, un site jihadiste francophone. Les avoirs et les comptes en banque de son responsable présumé viennent d'être gelés, par simple arrêté ministériel. ]]>

Je ne suis au courant de rien.

Philippe est surpris au téléphone. Il ne savait pas que ses avoirs financiers étaient gelés en raison de ses ”activités qui promeuvent le terrorisme” selon l’arrêté paru récemment au Journal Officiel. Philippe explique d’abord à Owni qu’il est “converti à l’Islam”. Plus tard dans la conversation, il évoque “un site d’information musulman sur le net”. Ce site, c’est Ansar al Haqq et son forum est connu pour relayer des communiqués d’organes de propagande d’Al-Qaida. Philippe est l’un de ses administrateurs.

Fauchés par l’antiterrorisme

Fauchés par l’antiterrorisme

Le ministère de l'Économie peut décider le gel des avoirs financiers d'individus soupçonnés de financer des activités ...

La décision de geler les avoirs financiers, donc l’argent déposé en banque, est prise par Bercy. Plus précisément par la direction générale du Trésor, sur la base d’éléments qui “émanent du ministère de l’Intérieur”, nous avait répondu Bercy en août. Une mesure administrative donc, qui ne nécessite pas l’accord d’un juge.

Moudjahidin

Le ministère de l’Intérieur et les services spécialisés connaissent bien le forum d’Ansar Al Haqq : à partir de 2008, il fait l’objet d’une attention toute particulière du service spécialisé de la police nationale, la sous-direction anti-terroriste (Sdat). Dans deux notes de la Sdat datées de 2008 qu’Owni a consultées, les policiers écrivent :

Ansar Al Haqq affiche clairement son soutien aux moudjahidin, appelle la communauté musulmane à soutenir le combat contre les mécréants. (…) Le site salafiste djihadiste [est] susceptible de développer par le biais d’Internet des activités en lien avec l’endoctrinement et la propagande en faveur du djihad.

Le bug du cyberjihad

Le bug du cyberjihad

Nicolas Sarkozy est parti en croisade contre les sites Internet terroristes. Mais une instruction ouverte dès 2010 ciblait ...

Dans une autre note datée de 2010, la Sdat évoque un “réel soutien aux organisations terroristes prônant le jihad global (…), la volonté des administrateurs et des modérateurs du site de mettre à disposition de terroristes en activité un outil de communication.” Ansar Al Haqq est décrit par le service antiterroriste comme “une application littérale du jihad électronique”.

Six personnes, modérateurs et administrateurs, avaient été mises en examen au printemps 2010 pour leur participation au forum. L’affaire est toujours à l’instruction, mais plusieurs ont bénéficié d’un non-lieu.

Pirater

Aujourd’hui, le forum d’Ansar Al Haqq n’est plus en ligne. Philippe, l’administrateur, nous a expliqué “ne pas l’avoir fermé [mais] s’être fait pirater” :

On sait que si l’État ne veut pas s’embarrasser de paperasserie, il peut agir quand même.

26 ans de lois antiterroristes

26 ans de lois antiterroristes

Description en une infographie interactive de la mécanique antiterroriste française, mise en place en 1986 au lendemain ...

Nathalie Szerman, auteure d’un rapport sur le site pour le Memri, un centre de recherche américano-israélien, a longuement étudié le forum. Elle explique reconnaître certains utilisateurs qui, entre autres, “font moins de fautes d’orthographe”, preuve de l’étroite surveillance exercée par les autorités selon elle.

Sur le forum, Le Nouvel Observateur a retrouvé des traces de Jérémie Louis-Sidney, tué chez lui à Strasbourg lors d’une opération de police le 6 octobre. Il était un membre assez peu actif, 26 messages ont été recensés. L’intervention de Strasbourg appartient à un large mouvement d’arrestations. Douze personnes ont été interpellées un peu partout en France – à Cannes et en région parisienne. Sept ont depuis été mises en examen.

La séquence s’est poursuivie par la présentation en conseil des ministres d’un projet de loi antiterroriste, porté par le ministre de l’Intérieur Manuel Valls. Il n’a pas repris les dispositions prévues par le précédent gouvernement pour sanctionner la consultation de sites terroristes, préférant les sanctions administratives contre les responsables de forums.

Depuis ce mardi pourtant, le Parlement examine la possibilité légiférer sur le sujet. Des amendements de l’opposition, soutenus en particulier par l’ancien ministre de la Justice et sénateur UMP Michel Mercier, tentent d’introduire en droit français des dispositifs pour sanctionner des sites web au nom de la lutte antiterroriste.


Ilustration par Owni /-)

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“Nettoyer” l’Internet européen du terrorisme http://owni.fr/2012/09/07/nettoyer-linternet-europeen-du-terrorisme/ http://owni.fr/2012/09/07/nettoyer-linternet-europeen-du-terrorisme/#comments Fri, 07 Sep 2012 15:40:37 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=119589

Bannir le terrorisme d’Internet en Europe en adoptant une kyrielle de bonnes pratiques. Une initiative récente, restée jusqu’ici assez discrète, a été lancée il y a plus d’un an. Le projet Clean IT se veut novateur sur un point : sa composition. Il fait la part belle à la société civile, tonne l’un des responsables du projet, But Klaasen, de la coordination de la lutte antiterroriste néerlandaise.

Dans l’interview qu’il a accordée à Owni, But Klaasen insiste sur le rôle joué par le secteur économique et les ONG au sein de Clean IT, financé à hauteur de 400 000 euros par la Commission européenne. Un projet structuré autour de quelques mots-clés : “bonnes pratiques”, “principes généraux”, “communauté de confiance”, “utilisation d’Internet par les terroristes” avec en ligne de mire le cyberjihad.

Quand le projet Clean IT a-t-il été lancé ?


En mai 2011, à Belgrade. Il a commencé pendant l’EuroDIG, un rassemblement sur la gouvernance d’Internet ouvert à tous, car c’était une belle opportunité. Aucune décision n’est prise lors de ces rencontres, c’est en quelque sorte le pendant européen du Forum sur la gouvernance d’Internet [qui dépend des Nations Unies, NDLR]. L’environnement était très propice, c’est pourquoi nous l’avons lancé à ce moment-là.

Brièvement, en quoi consiste le projet Clean IT ?

Nous essayons de définir les problèmes transversaux avec les États et les acteurs économiques. Nous avons une vision commune de ces problèmes et essayons de trouver des solutions dans un dialogue ouvert. Les acteurs économiques sont en première ligne. Nous avons créé une communauté de confiance entre eux, les États et les ONG avec une compréhension commune des problèmes. Le dialogue doit être aussi ouvert que possible, tout le monde peut exprimer son point de vue.

Neuf États

Cinq États européens participent à ce jour. Les autres ont-ils refusé ?

Ils n’ont pas refusé. En avril, tous les États européens ont été invités à participer. Nous avons commencé à cinq car il fallait bien commencer à un moment ! Les réponses de tous les États ne nous sont pas encore parvenues. Par exemple, l’Autriche, la Hongrie, la Roumanie et le Danemark viennent de rejoindre la coalition de Clean IT. Nous sommes maintenant neuf pays. Certains hésitent, comme le Portugal dont le ministère de la Justice, et non de l’intérieur, est compétent pour se prononcer.

La France n’est pas partenaire pour l’heure, mais s’y intéresse de près. Je sais qu’ils ont déjà des activités très proches de celles de Clean IT. Nous sommes en contact avec le ministère de l’Intérieur.

La société civile est également associée ?

Nous avons contacté nous-mêmes des ONG pour leur proposer de participer, toutes n’ont pas accepté. Nous faisons de notre mieux pour avoir un l’équilibre le plus juste possible entre ces trois acteurs.

Sur le site de Clean IT, il est fait mention d’entreprises liées à Internet. A qui faites-vous allusion : aux opérateurs, aux moteurs de recherche ?

Je crains de vous décevoir car nous avons convenu avec les participants de ne pas révéler leurs noms, sauf accord de leur part. En France, la Licra et l’Afa participent, de même que l’Internet Society en Belgique et l’International Network Against Cyberhate. Un membre du Parti Pirate suisse a participé à notre dernière rencontre. Les autres noms ne seront pas révélés à ce stade, mais à la fin lorsqu’ils annonceront officiellement leur soutien.

Parmi les acteurs économiques, aucun n’a accepté de divulguer son nom ?

Non, aucun, ils veulent attendre.

Pourquoi Clean IT n’est-il porté par les Parlementaires européens ?

Cleant IT est spécial car il s’agit d’une initiative public-privé. Nous voudrions suivre les standards européens qui permettraient d’inclure tous les pays et aboutiraient à des recommandations et une législation européenne. Ce serait une possibilité. Mais le secteur privé ne peut être impliqué, ce qui nous posait problème.

Il fallait trouver une nouvelle procédure qui serait aussi proche que possible des standards mais dont le secteur privé pourrait être à la tête. Une procédure similaire existe à Bruxelles au sein du groupe de travail sur le contre-terrorisme auquel participent tous les États membres. J’ai présenté le projet Clean IT à deux ou trois reprises à ce groupe et nous avons recueilli leurs commentaires, mais leur avis est consultatif et non décisionnel.

Vous évoquez un système de signalement des contenus : en quoi consiste-t-il ? Quel contenu est signalé ? Par qui ?
Dailymotion terre de Jihad a priori

Dailymotion terre de Jihad a priori

Un rapport récent d'un centre de recherche privé américain épingle Dailymotion, jugé trop laxiste envers les vidéos ...

Prenez par exemple le système de signalement de YouTube. Les utilisateurs peuvent signaler un contenu qui sera ensuite vérifié par les managers. Ce système marche très bien et nous pensons qu’il pourrait être étendu à bien plus de sites qui proposent du contenu.

Ces dispositifs ne concernent que les médias et réseaux sociaux ?

Oui, uniquement pour les contenus générés par les utilisateurs (Users Generate Content). Ces dispositifs et bonnes pratiques existent déjà en partie mais ils sont souvent implantés dans un pays spécifique et nous pensons qu’ils devraient l’être au niveau européen au moins.

Les trois strates d’Internet

Les “contenus terroristes” sont ciblés par le système de signalement. Comment seront-t-ils définis ?

En préambule de notre document de travail, les Etats l’ont défini de façon précise car ils savent bien ce qu’est l’utilisation d’Internet par les terroristes. Il faut d’abord comprendre qu’il existe plusieurs strates sur Internet : la première des réseaux et médias sociaux, la seconde de sites plus idéologiques sur laquelle sont lancés les appels à la violence, et la troisième plus clandestine. Pour faire court, les terroristes utilisent Internet de deux façons.

D’abord à des fins de radicalisation qui commence sur la strate supérieur en lisant de la propagande pour le jihad. Ils sont alors dirigés vers la strate idéologique où ils trouvent les informations pour aller sur les chats, dans le web profond où se trouvent les informations pour planifier des attaques terroristes. Ensuite pour la propagande en suivant le schéma inverse : de la strate inférieure à la strate supérieure.

La question n’est pas simplement la légalité de certains contenus, mais les processus tout entier que je viens de décrire. C’est pourquoi il est si complexe de déterminer ce qui est illégal et ce qui ne l’est pas, surtout dans un monde comme Internet régi par des octets et des bits… C’est tout un processus qui se produit et à certains moments seulement le seuil de l’illégalité est franchi.

Certains responsables de la lutte antiterroriste ont émis des craintes quant à l’utilisation accrue du chiffrement, en cas de durcissement des législations. De nombreuses arrestations de terroristes sont possibles grâce à leurs activités sur Internet. Craignez-vous qu’ils recourent davantage à des moyens sécurisés comme le chiffrement  ?
Trévidic : “Le jihad n’a pas attendu Internet”

Trévidic : “Le jihad n’a pas attendu Internet”

Le cyberjihad a fait une entrée fracassante dans l'agenda politique au lendemain de l'affaire Merah. Une notion à ...

Ils peuvent utiliser le chiffrement ! Tout le monde peut le faire. Plus vous êtes intelligent, mieux vous l’utilisez. Les personnes les plus malignes sur Internet ne sont pour le moment pas les terroristes, mais les hackers. Si un jour ces deux groupes s’unissent, la situation deviendra vraiment dangereuse.

Quelqu’un me disait récemment que le web profond n’existe pas, il y a simplement certaines personnes plus intelligentes que d’autres sur Internet. Il faut plutôt le comprendre comme ça…

La cible principale qui apparaît dans les documents de Clean IT est le cyberjihad. Est-ce la seule?

D’un point de vue managérial, il n’est pas possible d’inclure tous les domaines comme la pédopornographie, le copyright ou autre. Ce serait un projet immense ! Il fallait commencer quelque part.

Qu’en est-il des autres formes de terrorisme comme les séparatistes ? Avez-vous évalué qu’ils utilisaient moins Internet que les jihadistes ?

Vous avez raison sur ce point. Mais pour l’instant, la menace la plus inquiétante sur Internet vient des jihadistes. Nous n’excluons pas les autres terrorismes, ça ne change pas grand chose. Nous conservons la définition européenne du terrorisme qui est notre ancrage légal.


Interview réalisée par téléphone le 31 août 2012.

Photo FlickR CC by-sa FHKE

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Hicheur : “j’étais le pigeon providentiel” http://owni.fr/2012/07/02/adlene-hicheur-jetais-le-pigeon-providentiel/ http://owni.fr/2012/07/02/adlene-hicheur-jetais-le-pigeon-providentiel/#comments Mon, 02 Jul 2012 04:30:44 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=114597 Owni, Hicheur dénonce, non sans arguments, la construction d'un dossier à charge. "De l'inquisitoire, pas du judiciaire" explique-t-il. ]]>

Adlène Hicheur est sorti de prison. Le 15 mai au matin, le conseiller d’insertion et de probation suggère que sa détention pourrait prendre fin “très prochainement”. Le soir même, il est dehors. Il aura passé plus de deux ans et demi à la maison d’arrêt de Fresnes, maintenu en détention provisoire toute la durée de l’instruction.

Physicien au Centre européen de recherche en nucléaire (Cern), ce physicien de haut niveau a été arrêté le 8 octobre 2009 au domicile de ses parents, à Vienne dans l’Isère. Les mots-clés fusent alors dans la presse : physicien, nucléaire, Al Qaida. Terrorisme. À l’issue de sa garde à vue, Adlène Hicheur est mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Ses activités sur Internet sont dans la ligne de mire des enquêteurs. Lui dénonce depuis le début un dossier vide, instrumentalisé à des fins politiques.

Le parfait terroriste physicien

Le parfait terroriste physicien

Il y a deux ans, un physicien du Cern d'origine algérienne, devenait le client idéal de l'antiterrorisme à la française ...

Il a accepté de répondre à Owni, d’évoquer sa détention, sa relation avec les enquêteurs puis les magistrats, mais aussi les curiosités de cette affaire, notamment l’identité de son mystérieux correspondant, un certain Phoenix Shadow. Les services antiterroristes en sont persuadés : derrière se cacherait un cadre d’Al Qaida au Maghreb (Aqmi), Moustapha Debchi, mais la preuve de cette équation n’a jamais été apportée.

Condamné le 5 mai à cinq ans de prison, dont un an avec sursis, il est sorti à la faveur de remise de peine. Sans attendre, il a repris contact avec ses anciens collègues, pour éviter “de sombrer dans la dépression”. Ultime bataille, il tente de faire rectifier sa page Wikipedia : “Une vie ne peut pas se résumer à un fait divers”.

Quelle a été votre réaction à l’annonce du jugement ?

Aucune surprise. J’avais vu le déroulement de l’instruction, j’avais vu qu’on avait fait de moi une victime expiatoire d’une certaine politique. C’est le paradigme du bouc-émissaire : on prend une personne qu’on charge du point de vue symbolique et on l’immole rituellement devant la société. Je ne me faisais aucune illusion, je voulais seulement être jugé rapidement pour que la détention provisoire cesse, pour ma famille, pour moi.

Le système a tenu à aller jusqu’au bout parce qu’il fallait envoyer des messages forts à la société. Ce mode de gouvernance est très dangereux. J’appelle ça de l’aliénation sécuritaire. Ça tue le génie créatif, l’épanouissement intellectuel. Mieux vaut agiter des chimères que faire face à ses propres carences. Dans leur tribune les gens de Tarnac l’ont très bien dit : la peur est le sentiment le plus facile à instrumentaliser.

La peur, l’inconnu, l’ignorance : les trois se tiennent. Les apprentis sorciers sont incapables de résoudre des problèmes sur des sujets sérieux comme le chômage, mais ils sont les premiers à agiter la matraque. Mon cas met à nu leur prétention de respecter les gens qui travaillent. Je suis l’exemple typique de taulier au travail, de personne qui se lève tôt. Ma vie est brisée pour des éléments qui n’auraient jamais conduit à une incarcération dans un autre pays. Ça devrait mettre la puce à l’oreille à tout le monde, même des gens qui n’ont pas la même culture politique que moi. On commence par les uns et on va ensuite vers les autres. C’est exactement la logique d’un système totalitaire.

Le tribunal a aussi prononcé la confiscation des saisies d’argent liquide, environ 15.000 euros, et du matériel informatique.

La saisie de l’argent liquide c’est du vol institutionnalisé, la saisie de mon matériel informatique un assassinat intellectuel. J’avais des centaines d’heures de travail dessus ! Des idées, des articles, des cours, des données scientifiques…

Vous étiez poursuivi pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, pour financement du terroriste et pour avoir diffusé de la propagande, ce que le procureur désignait sous l’expression “jihad médiatique”.

C’est vraiment de la surenchère. Je n’ai pas de site, pas de blog. Je n’ai intégré aucun projet médiatique contrairement à ce qui a été dit. J’ai interagi en tant que user (utilisateur) sur des forums, échangeant des opinions. C’est vraiment de la mauvaise foi de l’accusation ! Qu’est-ce qu’ils appellent jihad médiatique ? C’est un peu vague… Ce qui peut leur poser problème, c’est que des groupes, disons politico-militaires pour rester technique, fassent des reportages sur leurs activités et les publient. L’expression fourre-tout, d’après ce que j’ai compris, permet de toucher toute personne qui aurait accès à un moment ou à un autre à des publications de ces organes médiatiques.

Est-ce que traduire ce genre de publications en citant la source constitue du jihad médiatique ? C’est très vicieux de rechercher des actes positifs qui constituent des incriminations, surtout au vue des conséquences terribles ! N’importe quel journaliste peut être amené à faire ce genre de travail sans pour autant faire partie de l’organe médiatique ou approuver ce qu’il traduit. Pour en arriver là, il faut vraiment qu’il n’y ait rien dans le dossier. C’est grotesque et ridicule. Ils ont essayé de m’avoir a minima.

Vos défenseurs avaient dénoncé une instruction à charge, mais à la veille du procès, Me Baudouin, votre avocat, s’en remettait à l’indépendance de la Cour et au regard nouveau qu’elle poserait sur votre dossier.

La 14e chambre correctionnelle du TGI de Paris ne juge pas, elle condamne.

Hicheur bon terroriste confirmé

Hicheur bon terroriste confirmé

Le physicien du Cern accusé d'activités terroristes, Adlène Hicheur, a comparu jeudi et vendredi devant le tribunal ...

Il avait également pointé la façon dont la président, Mme Rebeyrotte, menait la séance.

Il n’y a pas eu de questions sur des points précis, pas de débat contradictoire. Ce n’était pas un procès mais un rouleau compresseur visant à asphyxier la défense. Plusieurs griefs étaient lus pendant 20 ou 30 minutes et je n’avais pas le temps de répondre. Pour moi, la condamnation n’a pas été prononcée par la justice mais par la police. La police me voulait, me voulait condamné.

Dans les institutions d’un État qui se respecte, il existe des contre-pouvoirs qui peuvent arrêter ce genre de bêtises. Le grand public retient des mots-clés : “musulman”, “physicien”, “Al Qaida”. Ça relève de la psychologie de masse.

Quelles relations aviez-vous avec le juge d’instruction, Christophe Teissier ? Dans un entretien accordé à Mediapart, vous évoquiez une audition “stérile et sans intérêt”.

Les mêmes éléments revenaient sans arrêt. Au début, j’étais naïf. Je pensais qu’au moins un ou deux magistrats constateraient le vide du dossier et décideraient d’arrêter. Petit à petit j’ai découvert la justice française, la chape de plomb qui vous tombe dessus. La mauvaise volonté se mêle à la mauvaise foi. Et là on comprend qu’on est entre de très mauvaises mains.

J’avais en tête que le magistrat n’était pas un flic, même si la réputation du pôle antiterroriste n’est plus à faire… J’avais espoir qu’on revienne à un peu de sagesse ou à défaut d’équité : quand il n’y a rien, il n’y a rien. Il a joué le rôle d’un flic main dans la main avec le procureur.

“Et ils s’acharnent, ils s’acharnent”

Comment se sont passés les interrogatoires pendant votre garde à vue ?

Mal. Le rapport voyous-braves gens était inversé : les voyous c’était eux ! Parfois, les insultes fusaient. Les policiers utilisaient mon frère, la santé de ma mère pour faire pression sur moi pendant ma garde à vue. Ils ressemblent à des psychopathes hystériques tout excités. Peut-être parce qu’ils sont toute l’année dans un bureau à se croiser les doigts… Dès qu’ils peuvent avoir un os à ronger, toutes les frustrations de leur quotidien – pas terrible d’ailleurs – se déchargent sur vous.

Les gens de Tarnac l’ont bien compris. Ils sont passés par la machine. Ils ont souffert de la même chose que moi : l’acharnement policier. Il en faut peu. Deux ou trois officiers se montent la tête, au bout d’un moment c’est comme si vous leur apparteniez, et ils s’acharnent, ils s’acharnent. Et puis, des carrières sont en jeu… Dans mon affaire, il y a eu au moins une promotion avérée : les grades changent entre les PV de début et de fin. Utiliser les moyens de l’État pour faire du mal à quelqu’un est d’une lâcheté sans nom.

Sous quelle forme avez-vous ressenti ce “déchargement” ?

Le ton, l’excitation. En garde à vue, on m’a dit : “vous allez perdre votre boulot, vous ne serez plus physicien, vous ne serez plus au Cern”. C’est d’un cynisme total ! Les gars sont assurés de leurs pleins pouvoirs. Il y avait un plaisir à me faire perdre un certain statut social, l’un des chenapans l’a exprimé ouvertement. Ça tranche avec le comportement des deux enquêteurs suisses qui sont venus m’interroger en septembre 2010. C’était des gens très posés, très carrés. Ils ont fait leur boulot sans tout ce cinéma.

Des détails très ténus sont montés en épingle : le plus choquant est sans doute les questions sur la pratique religieuse. Pourquoi on me demande si je prie ou si je jeûne dans le cadre d’une enquête judiciaire ? On évoque la vie et la culture familiales. Je réponds que nous sommes proches de la religion musulmane tout en étant ouverts. Ensuite les questions dévient sur des situations politiques, en Irak en Afghanistan. Jamais j’aurais pensé à ce moment-là que mes réponses seraient utilisées dans le réquisitoire. C’est de l’inquisitoire, pas du judiciaire.

Lorsque le procureur vous avait demandé si vous étiez salafiste, lors du procès, vous lui avez répondu qu’il faudrait une thèse de doctorat pour en parler.

Je trouve étonnant qu’un tribunal chargé de caractériser une infraction pénale parle de salafisme. On balance les slogans, des chimères, des sorcières. Je peux parler en détails des tendances et mouvances dans le monde musulman. J’ai beaucoup lu et c’est frustrant d’avoir affaire à des gens qui ne sont pas très au fait mais utilisent ça comme outil de guerre psychologique. C’est chasser toute rationalité à l’affaire pour garder l’irrationnel qui excite les cordes de l’opinion publique.

Il y a des raccourcis un peu simplistes du genre “salafisme = activité armée”. Les Frères musulmans ne sont pas salafistes mais ont des branches armées dans différents pays. Les Taliban n’ont rien à voir avec les salafistes. C’est beaucoup plus compliqué que le simplisme présenté au public.

Vous étiez interrogé par des agents de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) ?

Par deux binômes d’agents de la DCRI. Un de jour, un de nuit. J’avais l’impression qu’ils avaient découvert un filon : le filon Internet. Avec Internet, il n’y a pas de filature, de planques avec le thermos… Sur Internet, les ingénieurs se bloquent sur l’IP et interceptent le flux. En parallèle, les policiers peuvent même jouer aux jeux vidéo dans un bureau à côté à Levallois.

Ivan Colonna dans la cellule à côté

Comment s’est passée votre détention à Fresnes ?

L’administration est stricte, zélée même. Les cours de promenade sont minuscules, 40m2. Personne ne peut s’imaginer les affres de la détention : ce sont des familles brisées, des couples désunis, des épouses qui pleurent dans les parloirs, des mamans qui ne mangent plus. C’est contre-productif comme disait Me Baudouin. Plus une politique sécuritaire est coercitive, plus elle crée de la violence et de l’instabilité.

Dans quel quartier étiez-vous à Fresnes ?

Au début, j’étais à l’hôpital pénitentiaire en raison de mon état de santé. J’y suis resté quatre mois. Puis j’ai été transféré en 3e division du quartier principal.

Vos codétenus étaient des mis en examen ou des condamnés dans des affaires similaires ?

Après l’hôpital pénitentiaire, j’étais dans la 3e division Sud, au rez-de-chaussée avec tous les malades : 90% sont des cas psychiatriques, dont certains très graves. J’y suis resté presque un an. Je n’ai jamais vu autant de misère humaine de ma vie. J’avais le rôle de Jack Nicholson dans Vol au-dessus d’un nid de coucous.
Ensuite j’ai été transféré au Nord, toujours au rez-de-chaussée. J’ai croisé différents types de profils, essentiellement du banditisme et un seul cas politique, c’était Ivan Colonna. Il était dans la cellule à côté.

Pas d’autres personnes impliquées dans des affaires terroristes ?

Dans les autres activités, comme le terrain de sport, j’ai croisé des Basques et d’autres Corses.

Quel genre de relations aviez-vous avec eux ?

Un esprit de camaraderie de prison. J’ai aussi ressenti beaucoup de compassion. Personne n’est dupe en prison, tout le monde connaît bien le système, ils savent décoder l’actualité. J’ai senti de la révolte aussi, des droits communs notamment. Le discours : “si vous aviez fait des études, vous ne seriez pas là” était faux. Eux se retrouvaient avec plus de droits que moi, qui ai pourtant fait beaucoup d’études !

Avez-vous fait appel à une solidarité confessionnelle pour “cantiner” ou autre ?

J’interagis avec les gens selon un seul critère : qu’ils soient réglos. J’ai partagé de bons moments avec des gens très différents de moi tant qu’ils sont agréables et pas nuisibles. On est tous dans le pétrin ! Quand quelqu’un manque d’un produit, on lui donne et vice versa. C’est quasiment automatique.

Tous les détenus n’ont pas de doctorat en physique des particules. Comment s’est passé votre détention de ce point de vue ?

J’ai lu quelques bouquins, dont La force de l’ordre de Didier Fassin sur la police anti-criminalité et Les veines ouvertes de l’Amérique latine qui m’a marqué. Des ouvrages scientifiques aussi pour m’entretenir. J’ai réussi à tenir les 20 premiers mois, à travailler, à être efficace. Ensuite, je fatiguais.

J’ai eu du mal à m’ajuster à la mentalité de la prison. L’administration pénitentiaire avait elle du mal à voir sous quel registre me gérer. L’aspect sécuritaire et disciplinaire des peines fait que les détenus particulièrement surveillés (DPS) et de la catégorie “mouvance” ont des fouilles régulières des cellules et une fouille à corps intégrale, ce qui est particulièrement humiliant et parfaitement illégal. Il y a une volonté politique de rendre la détention préventive la plus pénible possible pour user la personne. C’est ainsi à Fresnes en tout cas.

La notion du châtiment douloureux est très forte en France. Certains personnels de l’administration pénitentiaire font sentir qu’ils sont là pour être odieux. Les surveillants sont très jeunes, et tout dépend de leur caractère et de leur humeur. C’est un jeu : celui qui s’énerve perd la partie.

Pigeon providentiel

Dès les premiers jours de votre arrestation, des articles utilisaient les mots clés “terroriste”, “physicien”, “nucléaire” dans leur titre. Quand avez-vous appris cette médiatisation, très forte dès le début ?

Je suis passé en comparution médiatique immédiate. Le circuit passe par la police, le ministère de l’intérieur et la Présidence, puis redescend dans les médias qu’ils connaissent et choisissent. Mes parents sont venus à mon premier parloir, ils m’ont raconté verbalement. J’étais coupé du monde jusque-là.

Quand j’ai réalisé, j’étais dépressif. J’ai compris que s’ils avaient fait ce bruit-là, rien ne les arrêterait. J’ai réalisé l’ampleur de l’entourloupe : j’étais le pigeon providentiel.

La médiatisation d’une personne privée qui ne l’a pas choisie est d’une grande violence psychologique. L’instrumentalisation des médias est très puissante, même un “ange qui marche sur terre” se ferait détruire. Je suis frappé du sceau des parias, pour que je ne puisse pas me refaire, pour que je sois précaire le restant de mes jours. On verra, je ne suis pas prêt à baisser les bras, je veux me refaire, tant bien que mal.

Vous avez été présenté comme la figure du loup solitaire par certains responsables de la lutte antiterroriste.

Dans le passé, ils avaient au minimum des bandes de copains à qui on pouvait reprocher, ou pas – je ne sais pas – une certaine forme de prosélytisme. Il y avait des points d’ancrage pour donner l’illusion. Pas dans mon cas. Il y a un gars qui a étudié toute sa jeunesse, qui travaille, qui vit dans un environnement rural. Jamais j’aurais pensé qu’on arriverait à de tels extrêmes à partir de rien. C’est une dérive dans la dérive.

Ils ont été obligés de créer un profil artificiel pour justifier toute la mascarade. Il n’appartient pas à un groupe ? Il vit tout seul ? Ce sera le loup solitaire par exemple. La rhétorique ancienne ne pouvait pas fonctionner.

En s’appuyant sur votre utilisation d’Internet ?

Oui, mais le plus grave c’est l’idée qui se dégage de l’expression loup solitaire. On imagine quelqu’un qui vit reclus. C’est faux. Je travaillais dans le cadre de collaboration internationale, j’avais affaire à des centaines de personnes quasi-quotidiennement au Cern. Plusieurs milliers de physiciens de nationalités différentes travaillent ensemble. Aucun outil de sociabilité n’est aussi fort ! Il faut s’adapter à toutes les cultures, à tous les tempéraments, à toutes les personnalités.

Cette partie a été zappée dans les médias. La personne réelle disparaît au profil d’un clone, d’un hologramme, habillé de toutes les caractéristiques pour vendre la justice à l’opinion publique. Il y avait une feuille blanche, immaculée, avec un bon cursus scolaire et universitaire. C’était un défi de construire une intrigue à partir de mon vécu ! Personne dans mon entourage familial, professionnel, de mon voisinage ne voulait me “salir”. Alors ils sont allés chercher des internautes avec qui j’avais interagi il y a x années.

Pourquoi acceptez-vous de parler aujourd’hui ?

Je ne parle pas à tout le monde. Je considère que ça peut être productif ou positif, mais à dose homéopathique. S’il fallait tout dire, on pourrait noircir des pages.

Désintégration morale

Comment voyez-vous votre avenir maintenant ?

Difficile. Par nature, j’ai tendance à être prudent. Dans un premier temps, je n’accepte pas qu’on me démissionne de ma passion et de mon gagne-pain par “la force des mitraillettes” comme dirait Louis de Funès. Si je devais quitter le milieu scientifique ou la physique des particules, ce serait de mon propre chef. Utiliser le sécuritaire pour me faire basculer dans la précarité dépasse une procédure de sanction pénale – déjà injuste – pour me faire entrer dans un processus de désintégration morale. Je n’accepte pas que la force publique me coupe de ma passion pour laquelle j’ai sacrifié ma jeunesse. Il faut être réaliste et voir comment rebondir. Je prospecte, rien n’est défini. J’ignore si la campagne a influencé les employeurs, je veux d’abord briser cet embargo.

Vous avez été soutenu par votre milieu professionnel.

Oui, la solidarité est venue des scientifiques, mais il reste le milieu administratif. Je n’ai pas de visibilité dessus.

Et l’Algérie, dont vous avez également la nationalité ?

C’est un grand point d’interrogation. Il est trop tôt pour le dire.

C’est en Algérie que vivrait Phoenix Shadow, la personne avec qui vous correspondiez. Lors du procès, vous avez dit qu’on vous présentait un pseudo et un nom, comme une équation à deux inconnues, et qu’on vous demandait d’affirmer que l’un correspond à l’autre.

Dès le début de l’instruction, les avocats n’ont eu de cesse de demander d’où venait ce nom, Moustapha Debchi. A aucun moment, l’explication n’a été fournie. Pour mon cas, l’adresse IP renvoie à une connexion Internet etc. En face, un nom est balancé sans justification, sans preuve.

A aucun moment vous ne connaissiez l’identité de la personne derrière le pseudo Phoenix Shadow ?
Réponses clés en main pour la DCRI

Réponses clés en main pour la DCRI

L'instruction du dossier antiterroriste du physicien Adlène Hicheur n'a pas été clôturée mardi. Nouvelle pièce au ...

Phoenix Shadow restait Phoenix Shadow, point à la ligne. Il n’y a pas eu de connaissance, de volonté de connaissance. C’était une interaction contingente à un moment donné utilisée des mois plus tard. Je pense qu’au début on voulait me coller à l’affaire des filières belgo-afghanes. Je l’ai senti pendant la garde à vue. Trop peu d’éléments existaient alors que le scénario aurait été terrible : un scientifique dans l’affaire des filières !

Puis, les questions ont évolué au fil de la garde à vue, en fonction de l’exploitation de mon disque dur. Les questions se sont réorientées vers Aqmi. Il n’y a vraiment que dans l’antiterrorisme que ça se passe ainsi. Normalement, quand une personne est placée en garde à vue, il faut lui signifier le chef de mise en garde à vue et remplir le cas d’espèce, ce qui lui est reproché. Moi, il n’y avait rien ! Le chef de mise en garde à vue était “présomption grave d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste”, mais la suite était vide, blanche.

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http://owni.fr/2012/07/02/adlene-hicheur-jetais-le-pigeon-providentiel/feed/ 41
Dailymotion terre de Jihad a priori http://owni.fr/2012/06/05/dailymotion-terre-de-jihad/ http://owni.fr/2012/06/05/dailymotion-terre-de-jihad/#comments Tue, 05 Jun 2012 13:50:22 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=111701

Dailymotion est “un entrepôt de vidéos jihadistes”. L’assertion a de quoi surprendre. Elle émane d’un centre de recherche privé américain, le Middle East Media Research Institute (Memri), spécialiste autoproclamé de la surveillance de la menace jihadiste. Composé en grande partie d’anciens militaires israéliens, il dissèque médias, sites et forums. Cette fois, c’est Dailymotion qui en prend pour son grade. Selon les deux chercheurs du Memri :

Malgré l’interdiction française – ainsi que sa propre politique sur les propos appelant à la haine et l’incitation à la violence – Dailymotion héberge une mine de contenus jihadistes.

Sans jamais pointer directement la responsabilité du site, les auteurs désignent “la large variété de vidéos jihadistes disponibles sur Dailymotion, allant des publications de médias officiels d’Al-Qaida, des Taliban et d’autres groupes jihadistes (…) à des discours de personnalités radicales”. À l’appui, ce propos, glané sur un forum proche de la mouvance jihadiste, Shumoukh Al-Islam :

Pour votre information, mes frères, le site Dailymotion est excellent, car il accepte des vidéos dans la plupart des formats, rmvb compris, et il accepte toutes les durées. J’ai uploadé le film La Takulif Lia Nafsak en intégralité, sans le diviser en plusieurs segments. L’un des avantages [de Dailymotion] est qu’il réprime moins que YouTube, qui a déclaré la guerre à tout ce qui peut être lié au djihad en supprimant les fichiers.

Pour démontrer la véracité de leur propos, les deux chercheurs sont allés fouiller le site de partage de vidéos pour en sortir la substantifique moelle jihadiste. Ils présentent plusieurs comptes diffusant des “vidéos violentes incitant au jihad armé produites par les médias liés à Al-Qaida (…) uploadées [sur Dailymotion] quotidiennement”. Ainsi que le film, La Tukalif Ila Nafsak, envoyé le 6 juin sur le “YouTube français”, surnom donné par Business Insider comme le signale le rapport dans les premières lignes.

Étoile montante

Labellisée As-Sahab, l’un des organes médiatiques d’Al-Qaida, il “appelle les musulmans de partout, mais surtout en Occident, à attaquer des cibles et intérêts occidentaux”, note les deux auteurs. Et de citer cet extrait de Abu Yahya al-Libi, jeune leader d’Al-Qaida et étoile montante du cyberjihad :

Quiconque mène une opération en solitaire aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France ou dans tout autre pays qui combat ouvertement et attaque les musulmans, doit savoir qu’il fait partie du jihad de ses frères musulmans, et que son opération – si elle est convenablement menée – n’est pas moins importante que les opérations menées sur les champs de bataille.

Dailymotion, entrepôt de vidéos jihadistes. L’expression fait presque rire au sein de l’entreprise française. Giuseppe Demartino, son secrétaire général contacté par email, balaie les accusations d’un revers de la main et renvoie vers le responsable communautaire, à la tête de l’équipe de modérateurs. Alexandre Makhloufi se dit “surpris” et affirme n’avoir jamais eu l’impression “d’être un repère de vidéos jihadistes” :

Le terme est un peu fort… Nous faisons notre maximum. Cinq personnes veillent la journée, tous les jours, deux la nuit. Les contenus signalés par les utilisateurs sont vérifiés, mais ils concernent la plupart du temps le non-respect des droits d’auteur et les contenus pornographiques, qui ont une durée de vie très courte sur Dailymotion.

Une histoire d’hébergeurs (2/2): et la liberté d’expression?

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Suite et fin d' "Une histoire d'hébergeurs", par le juriste Benoit Tabaka, qui revient sur la création du concept de ...

La diffusion de pornographie n’est pas interdite par la loi, mais proscrite par les règles internes du site. “Les contenus odieux”, que les internautes sont invités à signaler, sont eux illicites. Ils concernent “l’apologie des crimes contre l’humanité, l’incitation à la haine raciale, la pornographie enfantine, l’incitation à la violence, l’atteinte à la dignité humaine.” Des catégories dans lesquelles rentrent certains contenus jihadistes, notamment l’appel à la haine raciale et l’incitation à la violence.

Signalés

De part son statut d’hébergeur, régi par la loi de 2004 pour la confiance en l’économie numérique (LCEN), Dailymotion ne peut être tenu responsable des contenus diffusés sur sa plateforme que s’ils ont été signalés.

“La modération a priori serait techniquement très compliquée, plus de 20 000 vidéos sont envoyées chaque jour” poursuit Alexandre Makhloufi. La modération a posteriori d’un contenu signalé par les utilisateurs est en revanche obligatoire. Et les demandes affluent. En cas de signalement, l’équipe se veut réactive :

Il nous faut deux heures environ pour traiter les signalements, vérifier le non-respect éventuel et décider du retrait.

Très peu de temps après l’arrestation des membres du groupe radical français Forsane Alizza, leurs vidéos avaient été retirées de Dailymotion. Alexandre Makhloufi dit ne pas se souvenir de cet épisode en particulier, intervenu peu après l’affaire Merah dans un contexte de crispation sécuritaire. Lui chapeaute l’équipe, dont les membres ne sont pas spécialisés sur un sujet plutôt qu’un autre, ce qui explique que du contenu estampillé As-Sahab, le label médiatique d’Al-Qaida, se balade librement dans les tuyaux.

Le jihad selon Twitter

Le jihad selon Twitter

Après les sites d'information et les forums spécialisés, les jihadistes investissent les réseaux sociaux, Twitter ...

Les cyberjihadistes l’ont bien compris. Après avoir investi les blogs et les forums, ils utilisent de plus en plus les réseaux sociaux, qui présentent l’avantage d’être moins centralisés. Nombre de forums ont été fermés, ou fermés puis “réouverts” par les services de sécurité.

El Fallujah, un forum en arabe très populaire chez les jihadistes, s’est sabordé il y a deux ans, détaille Dominique Thomas, chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Al Hizbah, autre forum proche de la mouvance, avait quant à lui disparu du jour au lendemain, avant de réapparaître, soupçonné d’être administré par les services saoudiens qui ont développé une cellule dédiée à la lutte contre le cyberjihadisme.

Les réseaux sociaux, Dailymotion, Facebook et Twitter, font courir moins de risques aux cyberjihadistes qui ont habillement su combiner contraintes sécuritaires et idéologies, souligne Dominique Thomas :

L’espace internet est corrompu mais les jihadistes mettent des limites dans cet espace qui est “hallalisé”. L’utilisation des réseaux sociaux a pu poser problème parce qu’il s’agit d’un sous-ensemble, ils utilisent quelque chose qui a déjà été créé et qui n’est pas “hallal”. Ils ont finalement créé une bulle vertueuse, non corrompue par la décadence, qui n’est pas territoriale mais virtuelle dans un espace corrompu.

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Trévidic : “Le jihad n’a pas attendu Internet” http://owni.fr/2012/05/30/marc-trevidic-le-jihad-na-pas-attendu-internet/ http://owni.fr/2012/05/30/marc-trevidic-le-jihad-na-pas-attendu-internet/#comments Wed, 30 May 2012 19:43:42 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=111905 "Ce n’est pas parce qu’une personne joue à Call of Duty 4 ou 5 qu’elle va devenir folle et tuer des gens", nous affirme le juge Marc Trévidic. Owni s'est entretenu avec le magistrat du pôle antiterroriste sur les réalités du cyberjihad.]]>

Le juge Marc Trévidic à Paris en novembre 2010. Portrait par © Marc Chaumeil / Fedephoto

22 mars. Mohamed Merah abattu par les hommes du Raid, Nicolas Sarkozy fait une déclaration depuis l’Elysée : la consultation de “sites internet qui font l’apologie du terrorisme” sera dorénavant sanctionnée. Un projet de loi a depuis été déposé au Sénat. Le cyberjihadisme fait une entrée fracassante dans l’agenda politique et médiatique.

Owni a voulu recueillir l’analyse d’un magistrat familier de ces affaires. Marc Trévidic est juge d’instruction au pôle antiterroriste du Tribunal de grande instance de Paris, seule juridiction compétente en matière terroriste. Il s’est spécialisé sur les dossiers jihadistes en plus de quelques autres gros dossiers (Karachi, Rwanda, moines de Tibéhirine). Il revient ici sur l’utilisation d’Internet par les jihadistes, le cyberjihadisme ou “jihad médiatique”, nouvel avatar de la menace terroriste selon les acteurs politiques.

Comment a émergé le cyberjihad ? Est-ce, comme certains l’analysent, lié à la perte du territoire afghan en 2001 qui a entraîné un repli des jihadistes sur une autre base arrière ?
La loi contre les web terroristes

La loi contre les web terroristes

Le projet de loi sanctionnant la simple lecture de sites Internet appelant au terrorisme devrait être présenté demain en ...

Le conflit irakien a surtout servi de déclencheur, plus que la perte de l’Afghanistan en 2001. Les jihadistes ont très vite perçu le profit qu’ils pouvaient tirer du réseau. D’abord, l’intervention anglo-américaine était illégitime du point de vue du droit international public. Ensuite, ils ont pu utiliser les exactions commises par l’armée américaine, comme à Abou Ghraïb par exemple. Des brigades, armées de caméra, cherchaient à obtenir ce genre d’images pour les diffuser ensuite sur Internet. Le début du cyberjihad commence donc plus avec l’Irak qu’après la chute du régime Taliban. En Irak, le djihad était mené à 100%, dans les villes et sur Internet.

Quel est le rôle du cyberjihad ?

Le principal objectif est la diffusion de la propagande, puis le recrutement. Lors du conflit irakien, les jihadistes menaient un double conflit majeur, à la fois contre les soldats de la coalition anglo-américaine et contre les chiites. Ils avaient donc besoin de beaucoup de troupes et de chairs fraiches.

Dominique Thomas, chercheur spécialisé sur les mouvements islamistes radicaux, parle de la volonté de créer des sphères de sympathisants, plutôt que de recrutement.

L’idée est de sensibiliser une population radicale. Au sein de cette population peut émerger un candidat au jihad. C’est une guerre de l’information, les cyberjihadistes parlent souvent de “réinformation”. Le volet recrutement existe aussi, pour envoyer des gens sur le terrain faire le jihad.

“Les loups solitaires”, entièrement isolés, formés sur Internet, existent-ils ?

Dans toutes les affaires que je connais, les protagonistes sont toujours en contact avec d’autres. Ils rencontrent d’autres jihadistes, se connaissent entre personnes de la même mouvance. Je n’ai pas connaissance de cas de terroriste islamiste entièrement isolé. C’est un petit milieu ! Tout le monde se connait.

Cyberjiadhistes et jihadistes sont-ils les mêmes personnes ? Ont-ils des profils différents ?

Tous sont cyberjihadistes. Le passage à l’acte, les départs sur zones sont extrêmement minoritaires. La radicalisation est progressive : la radicalité des jihadistes varie selon leur situation. Ils ne tiennent pas les mêmes discours avant le départ, pendant leur séjour sur zones et à leur retour. Le jihad n’a pas attendu Internet. Dans les années 1990, les filières d’acheminement de combattants en Afghanistan se développaient sans utiliser Internet.

Le milieu des années 2000 semble être l’apogée des sites liés au jihad. Certains étaient très connus, comme Minbar ou Ribaat, et des figures proéminentes s’en occupaient, notamment Malika El Aroud et son mari Moez Garsallaoui.
Le bug du cyberjihad

Le bug du cyberjihad

Nicolas Sarkozy est parti en croisade contre les sites Internet terroristes. Mais une instruction ouverte dès 2010 ciblait ...

Le nombre de sites a explosé après la guerre en Irak. L’utilisation d’Internet s’est codifiée. Le Global Islamic Media Front est chargé de contrôler et d’authentifier le contenu diffusé sur les sites avec le label d’Al-Qaida. Mais la vivacité des sites dépend du contenu qui arrive du terrain. La concurrence entre les sites crée de l’émulation. C’est la loi de la concurrence ! De cette émulation naît de la radicalité. Les sites apparaissent, se multiplient avec le conflit irakien et deviennent de plus en plus radicaux dans la propagande qu’ils diffusent.

Internet apparaît dans presque toutes les affaires, comme moyen de communication entre les jihadistes. Jusqu’à maintenant, un caractère opérationnel était toujours observé dans ces échanges. L’aide matérielle est présente dans toutes les affaires.

Le projet de loi présenté par l’ex gouvernement [Fillon], changerait ce principe en pénalisant la consultation de sites terroristes.

Il faudra définir la liste des sites terroristes, ceux qui posent certains problèmes. La définition repose sur le trouble grave à l’ordre public à même de semer la terreur [Définition des actes terroristes dans le code pénal français, NDLR]. Il faudrait plus généralement poser la question de l’influence des images violentes diffusées à la télévision ou sur Internet. Ce n’est pas parce qu’une personne joue à Call of Duty 4 ou 5 qu’elle va devenir folle et tuer des gens ! Le passage à l’acte à cause de jeux vidéo violents est marginal, si marginal qu’aucun enseignement ne peut être tiré à cette marge.

Le cyberjihadisme, dans son volet de propagande, doit-il sortir du champ de l’antiterrorisme ?

Comme je l’ai signalé à l’occasion de mon audition au Sénat, l’utilisation de la qualification terroriste, et des moyens afférents, a explosé, souvent à mauvais escient. Il y a deux problèmes différents : sensibiliser la population au risque de la violence diffusée notamment sur Internet d’une part, et lutter contre les actes terroristes d’autre part.

Capture d'écran de Call of Duty Modern Warfare 3


L’entretien avec Marc Trévidic a été réalisé le 2 mai 2012.
Portrait de Marc Trévidic par © Marc Chaumeil / Fedephoto / Capture d’écran de Call of Duty CC by-nc-sa psygeist

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Le lonely planet des jihadistes http://owni.fr/2012/05/15/le-guide-du-routard-des-jihadistes/ http://owni.fr/2012/05/15/le-guide-du-routard-des-jihadistes/#comments Tue, 15 May 2012 18:20:54 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=110306

“Prenez soin de vos pieds et lavez-les correctement.” Dans son testament, Samir Khan, l’un des leaders d’Al Qaida pour la Péninsule arabique (AQPA), livre conseils et recommandations pour mener un jihad convenable. Un retour sur expérience en anglais, découpé en douze courts textes, avec un graphisme soigné, illustré de photographies couleurs. Le petit précis à l’attention de ceux (en Occident) qui veulent mener le jihad (au Yémen, dans les zones tribales et ailleurs) est écrit par Samir Khan, un américain d’origine pakistanaise, tué en septembre dernier dans une frappe de drones de la CIA. La même frappe dans laquelle le chef de la branche, Anwar Al-Awlaki, avait péri.

Presque huit mois plus tard, le 14 mai, les organes de communication d’AQPA se sont fait l’écho du testament de Samir Khan, ciblant explicitement un public occidental. Comme la revue Inspire dont Samir Khan était l’un des principaux artisans, Expectations Full est écrit en anglais. Comme Inspire, sa présentation se veut soignée. D’après ses propriétés, le document au format pdf a été confectionné sur Adobe InDesign CS5, dernière version du logiciel de la prestigieuse série de graphisme du fabriquant Adobe.

“A must read”

Dès l’introduction, rédigée par l’équipe médiatique d’AQPA, les auteurs précisent, en forme d’avertissement, l’origine de celui qui écrit, un musulman occidental :

Certaines choses n’auraient pas été écrites de cette façon si l’auteur ne venait pas lui-même d’Occident.

Samir Khan lui emboite le pas et prévient dans les premières lignes qu’il s’adresse en priorité aux “musulmans qui viennent d’Occident” pour qui ce document “est à lire absolument”. De fait, Samir Khan les cible directement, les avertit, et les dorlote. Avec force de détails et d’attention, il raconte comment se préparer au jihad en passant en revue douze thématiques intitulées : “la propreté”, “d’une base à l’autre”, “vivre à l’extérieur”, “c’est un secret”, “Pourquoi pas l’Occident ?”, “bombardement aérien”, “s’occuper des blessures”, “khidmah (service”), “camp d’entrainement”, “venir avec sa famille”, “politique intérieure”, “l’importance d’Adhkar (les invocations)”.

La revanche des drones

La revanche des drones

La semaine dernière, le chef du mouvement des Taliban au Pakistan aurait été tué par un drone américain qui survolait le ...

Samir Khan recommande aux candidats au jihad de s’habituer à la vie collective dans des espaces confinés. L’apprenti jihadiste devra passer une semaine ou plus “chez [lui], chez un ami, dans un hôtel ou motel, dans les montagnes ou dans une masjid [mosquée en arabe, NDLR]“. Interdiction d’utiliser son téléphone portable – sauf urgence – ou tout appareil électronique – sauf urgence aussi. En revanche, l’étude de “manuels militaires” imprimés au préalable et “les exercices de combats” sont fortement encouragés, de même que diverses tâches ménagères, comme “la cuisine et le nettoyage de vêtements”.

Sans chaussures ni duvet

Mener le jihad au Yémen ou en Afghanistan n’est pas une mince affaire, insiste Samir Khan. C’est dur, physiquement. “Dormir sur le sable, les cailloux ou l’herbe”, parfois “sans couvertures ou sacs de couchage”. “Parcourir nu-pieds dans les montagnes, en marchant sur des branches, des épines, dans la boue ou sur des cailloux pointus”. Le salut n’est donc pas dans la précipitation, mais dans la patience, valeur cardinale du bon jihadiste. Emphatique, Samir Khan écrit :

En résumé, prépare toi au pire et espère le meilleur.

Le pire : les bombardements aériens, “une expérience décisive dans une vie”, qu’ils soient le fait “d’avions de chasse, d’hélicoptères, d’avions furtifs [allusion aux drones, NDLR], de bateaux ou d’autres machins”. Il raconte l’une de ces attaques, utilisant des bombes assourdissantes. Le “moudjahid” (le combattant) se doit aussi de servir sa communauté de combattants comme elle le sert. Une partie est consacrée à ce point, avec une photographie d’un plateau de thé en fond. “Ne pense pas un seul instant que, parce que tu es étranger ou invité des moudjahidin, tu ne dois pas aider les frères” prévient Samir Khan. Il faut se proposer pour la cuisine et quelques autres activités du groupe, comme “creuser, nettoyer ou réparer”.

Il convient aussi de se prémunir contre “les mauvais djinns” qui travaillent avec des individus liés au “gouvernement apostat d’Arabie Saoudite”. De même que le gouvernement – lui aussi “apostat” – du Yémen, qui utilise le “sihr (la magie)” pour combattre les moudjahidin. “Néanmoins, par la grâce d’Allah, il y a beaucoup de bons djinns qui [nous] protègent et nous défendent” conclut Samir Khan, invitant les apprentis à ne pas négliger les invocations (“Adhkar”) avant la tombée de la nuit.

AOC Al Qaida

Son testament a reçu la validation de l’organe médiatique d’AQPA. Le document est estampillé Al-Malahem Media, sorte de label qui officialise la provenance de la propagande diffusée. En décembre dernier, Dominique Thomas, chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, précisait le rôle de ces certificats :

À partir de 2004-2005 apparaissent les grands labels de communication : Al Andalous pour Al-Qaida au Maghreb islamique, Al malahem pour AQPA, Al Furqan pour l’Etat islamique irakien. Tous ces labels ont été utilisés pour diffuser les messages vidéos, sonores et la production écrite.

Des certificats AOC en somme, déclinés pour chaque branche régionale d’Al Qaida. Publicité est faite pour le pdf testamentaire, intitulé Expectations Full, sur des forums proches des milieux jihadistes. Le fichier en haute et basse définition est hébergé sur de nombreux sites de partage, comme souvent pour ces documents de propagande. Les miroirs permettent d’augmenter sa durée de vie en ligne, alors que les hébergeurs font la chasse à ces contenus radicaux.

Le jihad selon Twitter

Le jihad selon Twitter

Après les sites d'information et les forums spécialisés, les jihadistes investissent les réseaux sociaux, Twitter ...

Le jihadiste occidental en devenir doit enfin s’informer sur la situation politique intérieure du pays qu’il choisira. Avant de partir, il se renseignera sur les forces en présence au Yémen ou dans les zones tribales afghano-pakistanaises. Sur place, il ne dira rien de ses origines, ne posera pas trop de questions à ses camarades. Ces questions pourraient le rendre suspects auprès de ses co-combattants. Samir Khan, cyberjihadiste aux Etats-Unis avant de gagner les camps d’entraînement au Yémen en 2009, raconte en creux ce que d’autres ont dit en des mots plus crus devant la justice : les relations tendues entre les combattants venus d’Occident et les moudjahidin locaux.

Jihad local contre jihad occidental

Dans une affaire d’acheminement de combattants en Afghanistan et au Pakistan, jugée en France en février 2011, l’un des condamnés, Walid Othmani, était parti sur zone après avoir assidûment fréquenté des forums. Les conditions décrites dans le jugement entrent en résonance avec les avertissements du testament de Samir Khan. Walid Othmani était “cantonné à des tâches non-combattants comme la cuisine et en avait conçu du dépit” notent les magistrats dans leur jugement. Si bien que le cyberjihadiste sorti de son écran en était arrivé à se “demand[er] ce qu’il faisait là”.

Dans les zones tribales afghano-pakistanaises, avait-il expliqué aux enquêteurs, “les candidats qui venaient rejoindre les talibans afghans n’étaient pas les bienvenus auprès des Pachtounes, notamment pour des raisons culturelles de méfiance à l’égard des « arabes », a fortiori lorsqu’ils étaient, comme eux, occidentalisés”, rapporte le jugement. Plusieurs familiers de ces affaires confirment un climat de suspension et de tensions entre jihadistes occidentaux et jihadistes locaux. Samir Khan le suggère lui même, dans des termes choisis :

On vous demandera certainement pourquoi vous n’avez pas mené le jihad chez vous. Ils ne vous renverront pas dans votre pays, mais laisseront cette option ouverte au cas où vous changeriez d’avis et décidiez d’attaquer l’ennemi chez vous.

Dans la section dédiée, intitulée “Pourquoi pas l’Occident”, Samir Khan incite ses lecteurs à mener le jihad chez eux, c’est à dire en Europe et aux États-Unis. En fond visuel, une photographie du pont de Brooklyn à New-York et des conseils de l’auteur : “Je recommande fortement à tous les frères et soeurs venant d’Occident de penser à attaquer l’Amérique dans son arrière-cour. L’effet est bien plus grand”. En guise de conclusion, son testament se termine par cette phrase :

Aussi, maintenant que vous savez ce qui vous attend, vous pouvez faire la comparaison avec le jihad en Occident, peser le pour et le contre, prendre une décision.

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Adlène Hicheur terroriste idéal condamné avec ses pères http://owni.fr/2012/05/05/hicheur-terroriste-tribunal-jugement/ http://owni.fr/2012/05/05/hicheur-terroriste-tribunal-jugement/#comments Sat, 05 May 2012 15:33:57 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=109135

Cinq ans de prison, dont quatre fermes. Le verdict prononcé contre Adlène Hicheur n’a pas surpris, mais a choqué ses soutiens. Physicien de haut niveau au Cern, il est condamné pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. En cause : des échanges de mails avec un correspondant identifié par les services antiterroristes comme étant Moustapha Debchi, présenté comme un cadre d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) en Algérie, ce que la commission rogatoire en Algérie n’a pas permis de prouver.

La présidente de la 14e Chambre du tribunal de grande instance (TGI) a murmuré le verdict. Hors micro, à voix basse, Jacqueline Rebeyrotte l’a rapidement énoncé, avant de lever la séance (la copie de son jugement est publiée au bas de cet article).

Confiscation

À la prison ferme, le tribunal ajoute la confiscation des scellés, soit plus de 15 000 euros trouvés en cash lors des perquisitions et du matériel informatique. Sur les 15 000 euros, 13 000 étaient destinés à financer le début de travaux en Algérie, où Adlène Hicheur venait d’acquérir un terrain. Loin d’un détail, cette confiscation s’apparente à “une humiliation” dénonce Me Baudouin qui n’a pas mâché ses critiques à l’issue du verdict :

Le fruit de ses recherches, son travail intellectuel est confisqué. Il a beau être soutenu par plus de 400 physiciens du monde entier, dont un prix Nobel [Jack Steinberger, NDLR], il lui sera difficile de reprendre une vie professionnelle à sa sortie. On a la sensation que l’intention est de le briser, de l’humilier.

Hicheur bon terroriste confirmé

Hicheur bon terroriste confirmé

Le physicien du Cern accusé d'activités terroristes, Adlène Hicheur, a comparu jeudi et vendredi devant le tribunal ...

Avant l’audience, l’avocat se disait inquiet, bien qu’une “surprise soit toujours possible”. Ses critiques visaient en premier lieu la tenue du procès les 30 et 31 mars derniers, présidé par une magistrate du siège qui “n’assurait pas l’équilibre entre l’accusation et la défense”, mais semblait s’être rangée du côté du Parquet.

Halim Hicheur, le frère du physicien, aussi était inquiet, notamment en raison de la tenue du procès, “complètement à charge”. Un déroulement qui avait surpris Adlène Hicheur, surtout le premier jour : la Présidente procédait à de longues lectures et lui demandait ensuite de réagir, la plupart du temps sans poser de questions plus précises. La deuxième journée avait permis davantage d’échanges. Sans convaincre Me Baudouin d’un déroulement correct : “C’est un scandale judiciaire et l’aboutissement de la logique du rouleau compresseur” a-t-il dénoncé à l’issue du prononcé du verdict.

Au centre de ses critiques : un chef d’accusation (l’association de malfaiteur en relation avec une entreprise terroriste) qui n’a jamais reposé sur des faits, “le moindre commencement de cadre pré-opérationnel”. Une procédure abusive qui inaugure l’ère du “pré-terrorisme” et ne manquera pas d’alimenter la propagande d’esprits radicaux, a poursuivi l’avocat :

Ces injustices font le choux gras des terroristes. C’est très regrettable.

Dans des termes très durs, Me Baudouin a dénoncé les risques pour les libertés individuelles et la démocratie d’une justice qui ne reposerait que sur des propos tenus pour qualifier de terroristes des individus. Halim Hicheur a concentré ses critiques contre une “justice qui n’a plus rien d’indépendante”, désignant “une culpabilité déterminée dès le premier jour” :

Le scénario a été écrit dans les bureaux de la DCRI [Direction centrale du renseignement intérieur, le "FBI à la française" créé par Nicolas Sarkozy en 2008, NDLR]. Il a ensuite été entretenu par son directeur Bernard Squarcini et Frédéric Péchenard [le directeur central de la police judiciaire, NDLR] qui a évoqué dans les médias une bombe qu’Adlène aurait été prêt à poser. A aucun moment cette accusation n’est ressortie pendant le procès.

Story telling

Mathieu Burnel lui a emboité le pas, visant le “story telling” jamais contrarié de l’accusation. Mis en examen dans l’affaire Tarnac, il a apporté son soutien à Adlène Hicheur lors d’une conférence de presse mi-mars et a signé en début de semaine une tribune dans Le Monde avec Halim Hicheur, Jean-Pierre Lees, directeur de recherche au CNRS, et Rabah Bouguerrouma, porte-parole d’un collectif viennois créé pour l’occasion.

À la sortie de l’audience, devant les dizaines de caméras et de micros, Mathieu Burnel a vivement déploré la distorsion entre cette issue qui paraissait “aberrante à tout le monde, y compris les journalistes” et l’absence de remise en question du “story telling” par les médias alors que l’arrestation s’était déroulée presque un an jour pour jour après Tarnac :

Dans l’affaire Tarnac, les journalistes ont fait leur métier. Dans l’affaire Hicheur, ils sont là pour compter les années de prison.

Lors du procès, Adlène Hicheur avait contesté le chapeau qu’on essayait de lui faire porter, “plus une plate-forme qu’un sombrero”. Outre les 35 mails échangés, l’accusation s’appuyait sur les documents trouvés chez lui, dont les traductions étaient très approximatives avait-il dénoncé. Dans son jugement, le tribunal note que ces documents “démontrai[en]t l’intérêt, voire la fascination, d’Adlène Hicheur pour l’islamisme radical et le jihad guerrier” (voir p. 17 du jugement reproduit en intégralité au bas de l’article). Et réfute d’un point d’interrogation la défense du prévenu (page 14) :

Interrogé sur la teneur de ces documents, Adlène Hicheur a déclaré qu’ils étaient “relatifs à l’histoire de l’Islam” (?).

L’affaire est à la croisée du cyberjihad et de l’association de malfaiteurs. Le premier, la “fréquentation assidue [par Adlène Hicheur] de sites pro-djihadistes, ainsi que par son action pour l’animer et traduire, afin de les mettre en ligne, des documents émanant notamment d’AQMI” confirme son intérêt pour le jihad selon le tribunal.

Le second, l’association de malfaiteurs, était le plus contesté par sa défense qui soulignait des propos parfois inquiétants mais limités à l’échange d’opinions. Pour le tribunal, Adlène Hicheur a désigné “une cible potentielle à un individu appartenant à une organisation terroriste, en l’occurrence AQMi, sans savoir quelle suite serait donnée à sa suggestion”.

Il a ensuite détaillé les modalités dans un texte (page 40). Ce texte avait fait l’objet de vives protestations de la part de la défense d’Adlène Hicheur : il n’a jamais été envoyé et ne peut être qualifié de message. Le tribunal l’a considéré comme tel, s’appuyant sur sa forme : “Il s’agissait donc d’une missive complète et manifestement envoyée” (sic).

Le jugement se clôt donc sur une peine de cinq ans, dont quatre fermes, que les deux ans et demi de détention provisoire effectués par Adlène Hicheur couvriront en partie. La circonstance atténuante, un an avec sursis, est accordée au titre de son origine algérienne (page 45) :

Adlène Hicheur a employé plusieurs fois le terme “humiliation” et l’on sent, à travers les messages de cet homme intelligent et fier, la douleur d’appartenir à un peuple qui a effectivement été colonisé pendant deux siècles par des représentants de son pays d’accueil et d’adoption ainsi que la difficulté à surmonter cette antinomie. Le Tribunal ne peut de même ignorer qu’Adlène Hicheur est né à Sétif, ville de triste mémoire, ce qui n’a pu que renforcer son sentiment d’injustice, d’humiliation devant le sort réservé à ses pères (sic).

Jugement affaire Hicheur anonymisé


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La loi contre les web terroristes http://owni.fr/2012/04/10/la-loi-contre-les-web-terroristes/ http://owni.fr/2012/04/10/la-loi-contre-les-web-terroristes/#comments Tue, 10 Apr 2012 13:53:06 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=105302 OWNI a pu prendre connaissance de ce texte, à la formulation très floue. Peu après l'assaut du Raid contre Mohamed Merah, le 22 mars, Nicolas Sarkozy annonçait sa volonté de sanctionner la consultation de sites faisant l'apologie du terrorisme. ]]>

Nicolas Sarkozy l’avait annoncé le jour de l’assaut contre Mohamed Merah, le 22 mars :

Désormais, toute personne qui consultera de manière habituelle des sites Internet qui font l’apologie du terrorisme ou qui appellent à la haine et à la violence, sera punie pénalement.

Le projet de loi sanctionnant la consultation de sites Internet terroristes devrait être présenté demain en Conseil des ministres selon les informations recueillies par OWNI. Dans sa forme actuelle, le texte révèle plusieurs zones d’ombre et ambiguïtés. S’il est adopté, il sera une nouvelle pierre dans l’arsenal juridique antiterroriste français.

Rédaction par l’Intérieur

Le texte était dans les cartons depuis quelques temps, avant même les assassinats de Toulouse et Montauban. Dès le lendemain du discours de Nicolas Sarkozy, l’exécutif s’est mis en branle pour aller au plus vite. Ce jour-là, François Fillon annonce son intention de le présenter en Conseil des ministres de ce 11 avril, soit le dernier Conseil des ministres avant le premier tour de l’élection présidentielle.

Géré en interministériel, le projet de loi a été écrit par le ministère de l’Intérieur, le cabinet du Premier ministre s’occupant principalement de la synthèse. A Matignon, deux personnes étaient chargée du pilotage : Alexandre Lallet, conseiller justice et liberté publiques, et Ferdinand Tomarchio, conseiller technique pour l’industrie. Contacté, Matignon n’a pas donné suite à nos demandes.

Selon son site, le Conseil National du Numérique (CNN) a été “consulté par le Premier ministre” et a rendu un avis relatif au projet de délit de consultation habituelle de sites terroristes” le 4 avril 2011. L’avis ne sera rendu public que “postérieurement à la présentation du texte en Conseil des ministres” est-il précisé.

Le projet de loi a poursuivi sa route le 5 avril devant le Conseil d’Etat. Le Sénat devrait recevoir le projet de loi après sa présentation au Conseil des ministres. Contrairement à l’Assemblée nationale, la chambre haute ne fonctionne pas selon des législatures et pourrait s’en saisir, au moins en commission avant les prochaines séances publiques.

“Consultation habituelle”

Le texte de loi vise la consultation “des sites qui provoquent des actes terroristes ou en font l’apologie” selon une version de l’avant-projet de loi dont nous avons eu connaissance. L’expression “de manière habituelle” employée par Nicolas Sarkozy le 22 mars, y est également reprise. Habituelle, soit plus de deux fois. Les magistrats devraient être chargés de définir la durée de l’intervalle entre les deux consultations à même d’en faire une consultation habituelle, le projet de loi y restant silencieux sur ce point.

La même question s’était posée pour la consultation de sites pédopornographiques. L’article 227-23 du Code pénal sanctionne “le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition une telle image [pédopornographique]“. Le nouveau délit de consultation de sites terroristes sera puni d’une peine de deux ans d’emprisonnement.

Les sites jihadistes en ligne de mire

Le projet de loi mentionne les sites qui “provoquent des actes terroristes”, sans cibler une mouvance plutôt qu’une autre. L’agenda de l’annonce, le jour de l’assaut contre Mohamed Merah, laisse penser que les sites jihadistes sont particulièrement visés. Dans sa“Lettre au peuple français”, le président-candidat écrivait, après un long développement sur les assassinats de Toulouse et Montauban :

Nous devons être intraitables contre le fondamentalisme. Il faut combattre les manifestations criminelles de cette idéologie de haine par le renseignement, la surveillance des réseaux, la coopération policière internationale. Mais il faut aussi la combattre à sa racine intellectuelle, dans les prisons, dans les prêches de certains prédicateurs extrémistes, ou encore sur les sites Internet. Faire l’apologie du terrorisme et de la violence sur Internet n’a rien à voir avec la liberté d’expression et de communication.

Cette dernière phrase entre en écho direct avec la législation actuelle. Le nouveau texte veut sanctionner la lecture de contenus faisant l’apologie du terrorisme, contenus dont la rédaction tombait déjà sous le coup de la loi. L’article 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse interdit de fait l’apologie du terrorisme :

Seront punis [de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende] ceux qui auront provoqué directement aux actes de terrorisme (…) ou qui en auront fait l’apologie.

Dans plusieurs affaires dites de “jihad médiatique” ou cyberjihad, les défenseurs ont contesté le chef d’inculpation d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste arguant que la nature des échanges incriminés relevait du droit de la presse (même enfreint).

Extension du domaine de l’antiterrorisme

L’association de malfaiteur est la pierre angulaire de l’antiterrorisme à la française caractérisé par “une logique préventive”, a souligné le juge d’instruction Marc Trévidic lors de son audition au Sénat. Dans le cadre de la commission des finances, les Sénateurs avaient entendu le 4 avril ce magistrat familier des affaires de terrorisme jihadiste.

Interrogé sur une loi sanctionnant la consultation de sites terroristes, Marc Trévidic s’était montré prudent :

L’autoradicalisation est facilitée par Internet, mais Internet a aussi permis de nombreuses arrestations. La surveillance d’Internet a permis le démantèlement de plusieurs filières depuis 2007. La consultation peut-elle passer dans le champ de la lutte antiterroriste ?

Plus étonnant, le projet de loi ne dit rien quant aux méthodes utilisées par les enquêteurs pour mesurer la consultation de ces sites. En ayant recours au Deep Packet Inspection (DPI), l’exploration en profondeur du trafic ? L’hypothèse est peu probable, mais seul un débat parlementaire pourrait permettre d’en savoir plus sur ce point.

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