danah boyd (sans majuscule, elle y tient) est chercheuse dans le domaine des médias sociaux à la Microsoft Research New England. Dans un article publié sur son blog, elle analyse Chatroulette avec sa vision de femme, apportant un angle intéressant à ce sujet que nous avons déjà abordé sur Owni.
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J’ai observé l’agitation autour de Chatroulette depuis pas mal de temps maintenant, mais je ne me suis jamais sentie à l’aise pour en parler en public. Tout d’abord parce que c’est un site très controversé, le genre de site qui suscite à nouveau une panique autour de l’activité des jeunes sur Internet. Et je déteste avoir affaire à la foule en colère (je sais, je sais…)
Mais surtout, j’ai du mal à répondre à leurs craintes parce que je trouve ce site très attachant. Chatroulette me rappelle de nombreuses bizarreries d’Internet avec lesquelles j’ai grandi. Comme lorsque j’étais adolescente et que je jouais à troller sur les chats, je trouve sur Chatroulette des personnes étranges. Les utilisateurs s’ignorent jusqu’à trouver quelqu’un d’intéressant ou de fascinant.
Alors que le site a été créé par un ado, les mineurs n’y sont pas les plus présents (il y a, en revanche, beaucoup de jeunes adultes). Ce n’est pas une surprise, les adolescents n’ayant AUCUNE raison de parler à des personnes plus âgées, même si celles-ci sont comme moi. C’est la dynamique de mise en relation la plus étrange que je connaisse… Chacun peut cliquer sur “next” jusqu’à ce que les choses se cristallisent. Même si j’ai envie de parler avec des ados sur le site, ils n’ont aucune envie d’échanger avec moi.
Imaginez que je sois un péquin moyen : aucun intérêt. De même, les personnes qui veulent me parler à moi (une jeune femme) sont les personnes avec qui je n’ai pas envie de parler. Et ainsi de suite, on clique “next” jusqu’à une possible étincelle.
C’est un jeu pour les flâneurs marchant dans les rues numériques.
Ce que j’aime le plus à propos de ce site, c’est le fait qu’il n’y ait pas grand chose que vous puissiez cacher. Ce n’est pas un site où les policiers peuvent prétendre être des jeunes filles. Ce n’est pas un lieu où vous vous sentez forcé de rester ; vous pouvez aller de l’avant et personne ne le saura. Si quelqu’un ne comprend pas votre style, continuez. Encore, et encore.
J’aime la façon dont les choses se font. Pour la plupart des utilisateurs de tous âges, mais principalement les ados, Internet est aujourd’hui une question de relation sociale avec des personnes que vous connaissez déjà . Personnellement, j’appréciais l’aspect aléatoire d’Internet. Je ne peux pas vous dire à quel point cela a été formateur de grandir en parlant avec un tas de gens différent sur Internet. Ce qui me fait me sentir plutôt déprimée à chaque fois que j’entends des gens parler des dangers liés au fait d’entrer en relation avec des inconnus.
Les inconnus sont ceux qui m’ont aidée à être ce que je suis. Les inconnus m’ont appris un monde différent de celui que je voyais dans mon petit village. Les inconnus m’ont permis de voir le monde depuis un autre point de vue. Les inconnus m’ont ouvert au milieu universitaire, à la théorie des sexes, aux écoles de l’Ivy League, à l’art de la guerre, etc…
Je déteste cette propension à considérer l’inconnu comme fondamentalement mauvais. Est-ce que j’ai rencontré des gens bizarres sur Internet quand j’étais ado ? BIEN SÛR ! Ils étaient bizarres, j’ai esquivé. Et c’était beaucoup plus difficile d’esquiver quand tout était rattaché à un email pour lequel on payait.
En fait, je pense que la façon dont fonctionne Chatroulette permet de passer à autre chose beaucoup plus facilement, avec beaucoup moins de culpabilité et plus confortablement. Ironiquement, malgré ce que laisse entendre la récente couverture médiatique, le site me semble plus sécurisé que n’importe quel autre site où les gens doivent s’identifier et connecter leurs informations personnelles avec celles d’autres personnes.
Est-ce que les jeunes peuvent avoir des problèmes sur ce site ? Sûrement, de la même façon que dans n’importe quel lieu public. Et il y a toujours des jeunes qui jouent avec le feu. Mais, une fois encore, pourquoi blâmer la technologie alors que les problèmes sous-jacents devraient être ceux qui nous préoccupent ? Soupir…
Quoi qu’il en soit, j’étais un peu hésitante sur ce que j’avais à dire à ce sujet et je le suis encore parce qu’honnêtement, j’aime bien avoir en tête notre bonne vieille culture de l’Internet. J’aime le fait qu’il y ait encore un petit pourcentage de gens qui cherchent à s’amuser parce qu’ils s’ennuient et qui souhaitent se connecter avec de l’aléatoire, des gens qui connaissent cette joie que procure la rencontre d’ inconnus dans un endroit plus sûr que beaucoup d’autres lieux.
Je sais bien que cela implique la potentialité de voir des choses assez dégueulasses ou problématiques et je ne veux pas le cacher, mais je suis assez sûre que les ados réagissent de la même façon que moi, en cliquant sur “next”. Est-ce que c’est l’idéal ? Probablement pas. Et je préfèrerais un filtre, pas seulement pour les ados, mais aussi pour mes yeux.
Je ne suis pas sûre que les personnes immatures quel que soit leur âge (ou les personnes facilement choquées) devraient être présentes sur ce site. Mais j’espère que nous puissions créer un lieu sur lequel les ados, les jeunes adultes et tous les autres puissent interagir de manière complètement aléatoire. Notre isolement social à un coût, et je crains que ça ne soit à nous de payer pour les générations futures.
Je ne suis pas vraiment sûre de ce qu’il faut dire, cependant je ressens ce poids qui me fait pousser un soupir. Le même sentiment de déprime et de fatigue que j’ai ressenti ce matin lorsque je jouais à cache-cache avec un enfant souriant à l’aéroport et que ses parents l’ont éloigné, me regardant comme si j’étais le diable. J’ai réalisé que beaucoup de parents pensent qu’il est nécessaire de protéger leur progéniture de l’imprévu : cela me rend simplement triste.
Je suis très amusée par Chatroulette mais également déprimée parce que je comprends que beaucoup de monde fera le choix de rester à l’abri eux et de préserver leurs ados plutôt que de leur donner une façon de comprendre ce genre de système et de leur apprendre à s’éloigner lorsque les chose deviennent étranges.
Et cela mérite un gros soupir …
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> Traduction réalisée par Alexandre Léchenet, dégrossie par Guillaume Ledit, et sublimée par Sabine Blanc